Le rap français fait sa rentrée. Au programme : violence, trafic de drogues et représailles…poncifs me direz-vous ? et vous n’aurez pas tout à fait tort, avec quand même un petit bémol cette année : c’est à qui fera le clip le plus gore, comme si montrer l’horreur incitait à ne pas la commettre, même s’il s’agit ici de fictions.
Seule lueur d’espoir en cette rentrée; comme toujours serais-je tenté de dire, parmi la diversité des MC’s français, et avant la sortie du nouvel album de Booba : le nouvel album solo de Rockin’Squat : confessions d’un enfant du siècle.
Rockin’Squat, leader du groupe mythique Assassin, qui fut l’un des groupes pionniers du rap français, il y a 20 ans, avec IAM, Solaar et NTM, sort son premier album sous son nom d’artiste.
Ce n’est que le premier volume d’un projet qui a pris forme entre Paris, New York, Rio et Sao polo ces cinq dernières années.
Dans ce premier opus, Rockin’Squat réaffirme les origines et valeurs du Hip Hop : issu et s’inspirant d’une mixité de cultures, allant de la soul à l’éléctro, en passant par le blues, le funk, le rock, le dancehall ou encore les musiques tribales, le Hip Hop reste vivant lorsqu’il est servi par des beats qui claquent ou des grooves frais et entraînants .
A cela s’ajoute un message, qui s’adresse avant tout aux gens du peuple, les sans-voix à l’origine, et qui distille des enseignements philosophiques ou scientifiques s’inspirant de situations vécues, permettant de s’éduquer tout en se distrayant (edutainment).
Squat nous met également en garde, pour ceux qui n’auraient pas les sens affûtés, contre tout ce qui n’est pas « real Hip Hop », soit les titres pop ou les fausses attitudes de gangsters.
C’est île de France undercover sous une capuche flamboyante
Conscience lumineuse des sous sols dangereuse comme l’amiante…
Squat a longtemps été incompris dans le milieu du rap français du fait qu’il a toujours proposé de la nouveauté, amenant son public à ne pas rester figé mais à avancer en cultivant son ouverture d’esprit.
Dans ce premier album solo, il propose des thèmes plus intimistes ou introspectifs (« aimer sans posséder », « enfant de la balle »), nous parle de la philosophie et du chemin qu’il a choisi (« une façon de vivre », « éternel apprenti »), en bref s’adresse à l’être qui gît derrière la carapace de chacun.
Il s’essaie également au chant avec talent (« can I do my thang », « clubbish ») et rappelle qu’il est avant tout le relais de l’information, celle qui est censurée et non officielle (« France à fric », « démocratie fasciste art 3 », « free them all »).
Fervent défenseur de la culture et du métissage, Squat donne la touche de couleur du Cd dès la première chanson :l’esprit des favelas reviendra comme un leitmotiv tout au long des 17 titres (« o mundo e para vocé », « ladrao sem causa », « progress », « te amo…eu quero vocé », « chance ballet »).
Enfin l’esprit du Hip Hop originel plane également sur les autres titres (« key of life », « instoppable » ou encore « vie privée ») qui nous rappellent que les MC’s sont avant tout, dans le sens étymologique du terme, des guerriers spirituels, des survivants qui proposent une autre alternative face à la morosité, l’uniformisation ou la désinformation, tout en gardant en eux et prêt d’eux la formule secrète dont l’amour, l’humour et la tolérance sont les principaux ingrédients.
C’est le hip Hop avec un cœur gros comme ça
Prêt à donner tout ce qu’il a, nique les putains de hits, mon gars
Et écoute le son d’en bas, c’est pour lui qu’on est là
C’est celui-là qui survivra, c’est aussi simple que ça…
Quand est-il de ses confessions, soit la déclaration publique que l’on fait de sa foi ?
Mathias révèle au grand jour son histoire familiale derrière son nom d’artiste, s'affichant désormais à visage découvert.
L’enfant seul, c’est aussi moi, c’est pour ça que le Hip Hop existe, il parle pour moi,
Il parle pour nous, pour ceux qui savent que nos cœurs ont le même battement sous nos peaux d’esclaves…
Il évoque sous plusieurs thématiques, la stratégie qu’il a mise en place pour rester vivant, aimant, confiant, face aux intempéries de la vie.
Il rappelle en premier lieu l’importance de la musique et de la culture et cite les artistes et courants musicaux qui ont compté pour lui. L’artiste accompli est celui qui a su ingérer, digérer et recracher des sources d’influences multiples tout en créant son propre style, au contact de l’entité consciente en soi. Squat, en ce sens, est à la musique en général et au mouvement Hip Hop français en particulier un meneur, qui va plus loin encore dans l’ouverture et la vision réfléchie qu’un Kery James, un Solaar dans « mach 6 » ou un collectif comme IAM.
Faut pas caner la culture qui est là
Faut préserver les richesses tant qu’on les a …
La musicologie n’a pas de logique
Que des racines d’où naissent ses rythmiques...
Véritable artiste, donc alchimiste du verbe et du son, Squat donne des pistes de réflexion pour trouver en soi la formule secrète,
...Reviens aux racines, deviens la racine
ma potion assassine ne kique que des vers de platine…
je mets dans ma coupe ce qu’il faut pour rester fresh...
A l’aune de son vécu, il affirme que la solitude n’est pas une fatalité mais aussi une chance d’apprendre, de s’instruire et de comprendre.
…l’éternel apprenti est celui qui apprend
de chaque seconde, action, instant
jamais pressé, il cherche avant de répondre
le monde qui l’entoure est un grand mystère qu’il sonde et fume le funk…
Textes à l’appui, il est l’exemple qui a su rester vivant, se renouveler, se ressourcer au fil de toutes ces années ; déstabilisant son auditoire en lui proposant toujours un son neuf, des thématiques inédites dans le milieu du rap, arrivant toujours là où on ne l’attend pas. En ce sens, même s’il n’est qu’un éternel apprenti, avec un peu de fausse modestie (suis-je un exemple ? peut-être. En tout cas un héros pour moi-même…je suis le meilleur…) - et d’ailleurs qui ne l’est pas dans le rap game où règnent insidieusement l’ego trip et la bataille pour le titre ? – il semble s’adresser avant tout au cerveau droit de ses auditeurs, soit le cerveau créatif, imaginatif, mais aussi la part mystique ignorée de beaucoup, et rejoint par là le subtil équilibre de ses maîtres, la touche magique, le son et le ton juste.
...n’oublie pas que le hip à l’équilibre du Hop
donc le be est le Hip et le bop est le Hop
hip Hop non stop be bop face à glock et pop
j’ai le rap&roll, donc je roll&rock…
la « spiritualité » que prône et diffuse Squat, sans en faire l’apologie, est assez proche de la vision animiste des sorciers amérindiens. En filigrane de son œuvre, on peut sentir l’influence qu’ont exercés les écrits de Carlos Castaneda et le premier clip venant illustrer l’album nous montre qu’il est passé maître dans l’art de rêver.
…ils ont tout fait pour qu’on y voie rien
qu’on soit divisé, qu’on y comprenne rien
mais il y a des clefs, il y a des chemins
j’en ai trouvé, d’autres sont très loin !…
une façon de vivre, une façon d’aimer, il y en a des milliers
mais celles qui sont claires, ont la même unité
la même humilité, la même stabilité, même efficacité
donc on les regarde et elles nous parlent
et elles nous conseillent, deviennent nos gardiennes
nous éloignent de la haine et nous rééquilibrent
Cette voie pratique lui a permis d’entrevoir le tronc commun à toute religion, tradition ou philosophie de vie. l’allusion à des termes clés comme « l’être », « l’âme », la « lumière », le « squelette » ou encore les « racines » en est l’illustration, même s’il reste lucide quant à la vigilance qu’il faut garder sur la voie (un esprit libre est un miroir et on préfère le voir à genoux – 500 ans). Tout est un éternel recommencement et tout devient pratique sur le chemin, malgré l’emprise croissante de la « machine ».
…Et trouver la paix relève de l’exploit
Quand même atteint, on doit le renouveler à chaque fois…
…Notre rage, notre hargne et notre lutte c’est contre la machine
Notre peine c’est la machine qui assassine et qui décime…
Néanmoins, il vient ici réaffirmer son combat de toujours, par le biais de la musique Hip Hop, qui est un mode de vie à part entière :
ma carrière être libre et montrer qu’on peut l’être
leur barrière, en survivre, et libérer son être…
Le MC est un survivant des temps modernes , des noires cavernes et des couloirs ternes
Sa poésie nous instruit, son flow nous sort de la routine et anime nos parties…
Bien lui en a pris, car il a trouvé là à la fois un moyen de s’exprimer, d’exister et de se réaliser, mais aussi de croître non en puissance mais en énergie et joie de vivre (ce qui est perceptible notamment sur les duos avec Agallah et KRS one), en cultivant les graines de l’Amour plutôt que celles de la haine.
…on ne sait plus vivre donc on ne sait plus aimer
beaucoup d’histoires d’amour n’ont rien de l’amour en fait
vos exemples ne sont pas les miens, vos expériences non plus
mon amour est éternel et l’ange n’est jamais déchu…
Ce que nous apporte Rockin c’est aussi et avant tout une prise de conscience et un recul sur notre quotidien, comme le montre la pochette de l’album. Lui qui a la chance de voyager de part le monde, même s’il tient à rappeler son identité de parisien (je sais la chance que j’ai d’être sur le sol français, d’où Hugo et Boris Vian ont été exilés et grâce à ça j’existe, et grâce à ça je résiste et mon flow insiste, et mon œuvre persiste), il a su prendre de la hauteur sur les événements et les gens (…car tu ne bouges plus, tu es figé comme l’Europe. Tu ne vis plus, où as tu mis ta soul salope ?…), et ne voir en eux que l’aspect sain, magique et lumineux.
…T’inquiète j’ai la vue claire et des textes pour la rue…
…ça fait des années qu’on essaie autre chose
contre la misère qu’on ose autre chose…
la vie est une lutte magnifique
tu sais qu’ils sont tous avec leur contraire, leur échec et leur sphère
qui les maintiennent tous dans leur enfer
cherche plus loin et trouve la clef…
…au jardin des artistes, l’humanité est un paradis
quand on prend le temps de regarder la création d’autrui
surtout quand c’est l’équilibre dans e chaos qui s’exprime
la force des mondes qui enseigne dans l’abîme…
Conscient de l’ombre, il préfère cependant porter son regard sur l’éclaircie mais reste lucide quant à la tournure que peuvent prendre les événements à terme.
…Et quand les stars du Hip Hop se retrouveront à St trop
C’est la mélodie des briques, c’est la tragédie des blocks…
au total, on pourra regretter la prestation du jeune rappeur Medine, dont la présence sur ce premier volume est certes un symbole fort, mais avec un flow un ton en dessous de celui de Squat, sur un morceau moins percutant et explosif que ne l’était « illuminazi 666 », paru dans le Ep « too hot 4 tv » quelques mois plus tôt. Autre déception, le morceau « te amo… » qui sonne un peu mièvre et mou, avant la perle qu’est « aimer sans posséder » Même thème mais intensité et force de frappe différente.
Six des 17 titres sont vraiment au-dessus du lot : « Key of life », avec le rappeur KRS one, groovy à souhait, « Laudra sem causa » que l’on sent rythmiquement très travaillé, comme « aimer sans posséder » ; « une façon de vivre » et « éternel apprenti » qui ouvrent des perspectives lumineuses qui seront peut-être développées dans le second volume, et « can I do my thang » avec un son cristallin qui vibre et fait corps avec la voix de Squat : l’authenticité n’a jamais été autant au rendez-vous !
Ces titres ont en commun d’être moins intemporels que les autres et représentent des morceaux synthétiques, plus universels, qui résument assez bien l’univers et les thèmes abordés par Squat tout au long de sa carrière.
Cela n’enlève en rien à la richesse de l’album, tant sur le plan des productions que des textes et même si chaque chanson nous emmène dans un voyage différent, ce premier volume constitue un tout, une œuvre majeure venant ponctuer la carrière du véritable artiste qu’est Rockin Squat. A l’aune des premiers chiffres de vente, il semble d’ailleurs que l’accueil soit plus que favorable au travail du poète mystique du rap français.
Restent des questions en suspens comme autant de paradoxes soulevés à l’écoute de ces confessions :
Comment concilier l’egotrip et la quête de lumière ? Comment parvenir à être libre tout en continuant à s’identifier à une ville, un MC, un guerrier ? Comment concilier sa foi dans l’homme et ses limites avec l’infini de la conscience cosmique ? Enfin quid du rapport à Dieu, centre de toute confession digne de ce nom ?
Des esquisses de réponses seront peut-être à venir dans le volume II…